Chapitre 26

 

La reine Cyrilla gardait la tête haute, refusant de montrer à quel point les brutes qui lui serraient les bras lui faisaient mal. Elle n’alla cependant pas jusqu’à résister, tandis qu’ils l’entraînaient dans le corridor crasseux. Se débattre n’aurait rien changé, de toute façon. La souveraine de Galea devait affronter avec dignité ce qui l’attendait. Et surtout, ne pas montrer sa terreur.

D’ailleurs, ce n’était pas son sort qui l’inquiétait le plus, mais celui de son peuple. Qui avait déjà été durement frappé…

Une centaine de gardes galeiens avaient été assassinés devant ses yeux. Qui aurait pu prévoir que cela arriverait ici, sur un terrain neutre ? Quelques hommes avaient réussi à s’échapper, mais ça ne consolait pas Cyrilla, car ils seraient impitoyablement traqués et abattus.

Elle espérait que son frère, le prince Harold, avait pu s’enfuir. S’il avait survécu, il organiserait sans doute une défense contre les pires massacres, qui restaient à venir.

Les mains brutales de ses geôliers la forcèrent à s’arrêter devant une torche murale au support rongé par la rouille. Des doigts s’enfoncèrent si violemment dans son bras qu’elle lâcha un petit cri, malgré toute sa détermination.

— Mes hommes vous font mal, ma dame ? demanda une voix moqueuse.

Elle ne daigna pas s’abaisser à répondre au prince Fyren.

Un garde ouvrit une porte bardée de fer qui grinça sinistrement. Les mains brutales poussèrent Cyrilla dans un nouveau couloir.

Elle marcha dans des flaques d’eau stagnante qui empestaient la moisissure et frissonna quand un courant d’air glacial souffla sur ses épaules, très rarement découvertes…

Son pouls s’accéléra quand elle pensa à l’endroit où on la conduisait. Que les esprits du bien fassent au moins qu’il n’y ait pas de rats ! Elle était terrifiée par ces rongeurs. Toute petite, déjà, elle faisait à leur sujet des cauchemars qui la réveillaient chaque nuit.

Pour se calmer, la reine tenta de penser à autre chose. Par exemple, à l’étrange femme qui lui avait demandé une audience privée. Ignorant toujours pourquoi elle la lui avait accordée, elle regrettait de ne pas avoir pris plus au sérieux ses propos…

Comme s’appelait-elle, déjà ? Dame quelque-chose… Ce qu’on voyait dépasser de ses cheveux, sous son voile, semblait trop court pour quelqu’un de ce statut. Dame… Bevinvier. Oui, c’était ça : dame Bevinvier de… quelque part en quelque part… Impossible de s’en souvenir. Aucune importance ! L’endroit d’où elle venait ne comptait pas. Ses propos, en revanche…

Quittez Aydindril sur-le-champ, avait-elle dit.

Mais Cyrilla n’avait pas fait tout ce chemin, en plein hiver, pour s’en aller avant que le Conseil des Contrées du Milieu ait entendu ses doléances et pris les mesures qui s’imposaient. Elle entendait demander que le Conseil, comme c’était son devoir, mette un terme aux exactions commises contre son royaume et son peuple.

Des villes mises à sac, des fermes incendiées, des innocents égorgés… Les armées de Kelton se préparaient à attaquer. L’invasion était imminente, sinon commencée. Et tout ça pour quoi ? Une annexion territoriale pure et simple ! Contre un allié ! Une violation sans précédent des règles en vigueur.

Le Conseil avait pour mission de défendre les victimes de telles agressions, quel qu’en soit l’auteur. La raison d’être de cette institution était d’empêcher ces félonies. Tous les royaumes des Contrées devraient s’unir et voler au secours de Galea.

Bien que puissant et prospère, le royaume de Cyrilla avait perdu beaucoup de sa force lors de la guerre contre D’Hara – menée pour défendre l’ensemble des Contrées ! Un autre conflit était hors de question. Quasiment épargné par les troupes de D’Hara, Kelton avait encore des réserves. Et Galea allait être submergé pour s’être battu à la place de ces lâches !

La veille, l’étrange dame Bevinvier avait imploré la reine de partir sans tarder. À l’en croire, le Conseil ne lèverait pas le petit doigt pour Galea. Et si Cyrilla restait, sa vie serait en danger.

Malgré l’insistance de la souveraine, dame Bevinvier avait d’abord refusé de s’expliquer.

Cyrilla l’avait remercié de sa visite et de sa sollicitude. Mais il n’était pas question, avait-elle ajouté, qu’elle manque à son devoir envers son peuple. Elle se présenterait donc comme prévu devant le Conseil.

Éclatant en sanglots, dame Bevinvier l’avait suppliée de l’écouter, finissant par avouer qu’elle avait eu une vision.

Cyrilla avait essayé en vain d’en savoir plus. La vision, selon la femme, était trop confuse pour qu’on la détaille. Mais son sens restait clair : la reine devait partir ! Très respectueuse de la magie, Cyrilla ne se fiait pas aux diseuses de bonne aventure. La plupart visaient simplement à alléger la bourse de leurs victimes trop crédules.

Touchée par l’apparente sincérité de la femme, Cyrilla avait pourtant conclu qu’il s’agissait d’une ruse pour lui soutirer de l’argent. Une escroquerie de ce type semblait incongrue, pour une personne apparemment si prospère, mais les temps étaient durs, et personne, même les riches, n’était à l’abri des revers de fortune. D’ailleurs, n’était-il pas logique que ce soit eux qu’on songe à dépouiller les premiers ? Beaucoup de personnes méritantes avaient perdu le fruit du travail de toute une vie durant la guerre contre D’Hara. Si dame Bevinvier était ruinée, ça expliquait ses cheveux coupés trop court…

Cyrilla la remercia, mais répéta que sa mission était trop importante pour qu’elle y renonce. Quand elle glissa une pièce d’or dans la main de sa visiteuse, celle-ci la jeta à l’autre bout de la pièce avant de sortir les épaules secouées de sanglots.

Cette réaction avait troublé la reine. Un escroc, refuser de l’or ? Impossible, sauf s’il cherchait davantage que cela. Dame Bevinvier avait-elle dit la vérité ? Ou, travaillant à la solde de Kelton, voulait-elle éviter que le Conseil soit informé de l’invasion ?

Aucune importance ! Cyrilla avait pris sa décision. Et elle n’était pas sans influence au Conseil, où on savait gré à Galea d’avoir défendu les Contrées du Milieu. Après la chute d’Aydindril, les conseillers qui avaient refusé de jurer allégeance à D’Hara au nom de leur pays avaient été exécutés et remplacés par des marionnettes. Les collaborateurs avaient gardé leur poste. L’ambassadeur de Galea, un loyaliste, était courageusement monté sur l’échafaud.

Pour la reine, le dénouement de la guerre restait une énigme. On avait annoncé aux soldats de D’Hara que Darken Rahl était mort, ce décès marquant la fin des hostilités. Un nouveau seigneur Rahl régnait sur le pays, et les troupes avaient ordre de rentrer chez elles ou d’aider les peuples qu’elles avaient conquis. Cyrilla doutait que la mort de Darken Rahl ait été naturelle.

Quoi qu’il soit arrivé, la reine s’en réjouissait, puisque le Conseil était de nouveau entre les mains des peuples des Contrées. Les collaborateurs et les marionnettes croupissant en prison, tout était redevenu comme avant le règne du dictateur. En toute logique, le Conseil viendrait en aide à Galea…

Cyrilla avait de plus une alliée de poids dans l’institution. La plus puissante possible, en fait : la Mère Inquisitrice. Bien que Kahlan fût sa demi-sœur, il n’y avait aucun lien spécial entre elles. Galea et sa reine étaient de farouches partisans de l’indépendance des différents pays, le Conseil se chargeant d’assurer la paix dans les Contrées. Galea n’avait jamais dévié de cette position. La Mère Inquisitrice partageait cette vision des choses. C’était pour ça qu’elle soutenait le royaume.

Kahlan n’avait jamais fait montre de favoritisme envers Cyrilla. Il devait en être ainsi, car tout soupçon d’iniquité aurait affaibli la Mère Inquisitrice, miné l’unité du Conseil et mis en danger la paix. La reine admirait Kahlan, qui plaçait l’unité des Contrées au-dessus des jeux de la politique. De toute manière, les machinations ne menaient jamais bien loin. Au bout du compte, l’honnêteté était beaucoup plus productive.

En secret, Cyrilla avait toujours été fière de sa demi-sœur. Forte et intelligente, Kahlan, malgré son jeune âge – douze ans de moins qu’elle – se révélait une dirigeante avisée. Bien que liées par le sang, elles n’en parlaient jamais. Kahlan était une Inquisitrice – une femme de pouvoir dans tous les sens du terme. Pas une sœur avec laquelle elle partageait un père, mais l’âme des Contrées du Milieu. Sa seule véritable famille, c’étaient les autres Inquisitrices.

Pourtant, n’ayant plus aucun parent, à part son frère adoré, le prince Harold, Cyrilla avait souvent regretté de ne pas pouvoir serrer sa petite sœur dans ses bras. Mais c’était impossible. Cyrilla était la reine de Galea et Kahlan la Mère Inquisitrice. Deux femmes sans autres liens qu’une ascendance commune et un profond respect mutuel. Le devoir passait avant le cœur. Cyrilla était fidèle à son royaume et Kahlan aux Inquisitrices…

Si certaines personnes reprochaient à la mère de Kahlan d’avoir pris Wyborn pour compagnon, Cyrilla n’était pas du nombre. Sa propre mère, la reine Bernadine, lui avait expliqué, comme à Harold, que les Inquisitrices devaient choisir des mâles puissants pour perpétuer leurs lignées. Cela servait les intérêts supérieurs des Contrées – en préservant un bien précieux entre tous : la paix. Bernadine ne s’était jamais plainte que les Inquisitrices lui aient pris son mari. Au contraire, elle se rengorgeait que ses enfants soient apparentés à l’une d’entre elles.

Oui, Cyrilla était très fière de Kahlan.

Fière, mais un peu méfiante… Pour elle, les Inquisitrices restaient un mystère. Dès leur naissance, elles étaient entraînées par les leurs et par des sorciers. Elles naissaient avec leur pouvoir, et d’une certaine façon, elles en étaient les esclaves. En un sens, il en allait de même pour Cyrilla. Née pour régner, elle n’avait jamais eu le choix. Bien que n’ayant aucun pouvoir magique, elle savait ce que pouvait être le poids de la naissance.

Jusqu’à ce que leur formation soit finie, les Inquisitrices restaient cloîtrées dans un monde qui ne ressemblait à aucun autre. On disait qu’elles étaient soumises à une discipline très rigoureuse. Même si elles avaient des émotions, comme tout un chacun, on leur apprenait à les étouffer. Le devoir régissait leur vie. Elles n’avaient aucune latitude, à part choisir un partenaire. Pas par passion, mais pour mieux servir leur pouvoir.

Cyrilla avait toujours voulu offrir un peu de l’amour d’une sœur à Kahlan. Et en recevoir d’elle, peut-être… Mais cela ne serait jamais possible. À moins que Kahlan, elle aussi, l’ait en quelque sorte aimée à distance. Et qu’elle ait été tout autant fière d’elle…

Ce qui lui serrait le plus le cœur ? Si toutes les deux servaient les Contrées du Milieu, Cyrilla était adorée par ses sujets alors que tous les peuples, sans exception, haïssaient et redoutaient la Mère Inquisitrice. L’amour des gens consolait de bien des sacrifices. Mais Kahlan ne connaîtrait jamais ce bonheur. Était-ce pour cela qu’on lui avait appris à inhiber ses émotions et ses désirs ?

Kahlan aussi l’avait prévenue au sujet de Kelton…

C’était au festival de la mi-été, des années plus rôt, juste après la mort de Bernadine. Le premier été de Cyrilla en tant que reine. Et celui où Kahlan était devenue la Mère Inquisitrice.

Cette promotion, à un âge aussi tendre, en disait long sur la puissance de son pouvoir et la solidité de son caractère. Et peut-être aussi sur l’urgence de la situation. Tout cela étant secret, Cyrilla ne savait presque rien du mode de succession en vigueur chez les Inquisitrices. Sinon que l’agressivité et la rivalité en étaient exclues. On cherchait la meilleure équation possible entre le pouvoir de la candidate, l’avancement de sa formation et son âge.

Pour les peuples des Contrées, l’âge n’avait aucune importance. Les gens redoutaient ces femmes, jeunes ou vieilles, et en particulier celle qui les dirigeait. Pourtant, à l’inverse de la plupart de ses contemporains, Cyrilla savait que le pouvoir, en lui-même, n’était pas nécessairement mauvais. Toujours équitable, Kahlan n’avait jamais recherché autre chose que la paix.

Ce fameux jour, les rues d’Ebinissia, la capitale de Galea, bruissaient joyeusement. Tout le monde, jusqu’au dernier garçon d’écurie, s’amusait avec une insouciance enfantine.

Cyrilla avait présidé tous les concours et distribué des rubans aux vainqueurs. Jamais elle n’avait vu autant de gens heureux et de visages souriants. Contente pour son peuple, elle avait pour la première fois senti à quel point il l’aimait.

Le soir, on avait donné un grand bal au palais, près de quatre cents invités se pressant dans le hall d’honneur. Tant de beaux seigneurs et de belles Dames dans leurs plus riches atours ! Et le festin ! Une merveille digne du jour le plus important de l’année !

À l’époque, il y avait tellement de choses à fêter ! Une ère de paix, de prospérité, d’espoir, de promesses de progrès perpétuel…

Quand la Mère Inquisitrice était entrée dans la grande salle, son sorcier sur les talons, les musiciens avaient cessé de jouer et l’assistance s’était tue. Régalienne dans sa robe blanche, Kahlan s’était dirigée vers la table où Cyrilla et ses conseillers avaient pris place et savouraient un délicieux vin aux épices.

Après avoir salué la reine, la tête un instant inclinée, la Mère Inquisitrice n’avait même pas attendu qu’on lui rende les honneurs dus à son titre.

— Reine Cyrilla, avez-vous un conseiller nommé Drefan Tross ?

— C’est cet homme, avait répondu Cyrilla en désignant un des convives.

— Je veux vous parler en privé, messire, avait dit Kahlan, le regard rivé sur l’homme.

— J’ai une entière confiance en Drefan ! avait lancé Cyrilla. (Un euphémisme… En réalité, elle était tout simplement en train de tomber amoureuse de lui.) Mère Inquisitrice, rien ne vous empêche de lui parler en ma présence. Ce n’est ni l’heure ni l’endroit de traiter ce genre d’affaires, mais si ça ne peut pas attendre, finissons-en sur-le-champ. Ici et maintenant !

Une exigence qui aurait dû inciter Kahlan à remettre les choses à plus tard. Mais elle avait réfléchi un court moment, tandis que son sorcier, rien moins qu’imperturbable, sautait nerveusement d’un pied sur l’autre.

— Qu’il en soit ainsi, avait finalement dit la Mère Inquisitrice. Je suis désolée, reine Cyrilla, mais cela ne peut pas attendre. Je viens de recevoir la confession d’un assassin. En plus de ses crimes, il m’a révélé préparer un meurtre avec un complice. Drefan Tross, cet homme affirme que vous voulez attenter à la vie de la reine Cyrilla !

Des murmures avaient couru dans l’assistance, rapidement étouffés.

Cyrilla avait à peine compris ce qui s’était passé ensuite. Se levant d’un bond, Drefan avait sauté sur la Mère Inquisitrice, une lame brûlant dans sa main droite. Presque sans broncher, Kahlan lui avait saisi le poignet au vol. Au même moment, un coup de tonnerre silencieux avait fait vibrer l’air. Sur la table, tous les verres avaient explosé, tachant de vin rouge sang la nappe jusque-là immaculée.

Alors qu’une étrange douleur se diffusait dans tout le corps de la reine, la forçant à serrer les dents, Drefan avait lâché son couteau.

— Maîtresse, je t’appartiens, avait-il soufflé, les yeux vides.

Cyrilla venait de voir une Inquisitrice utiliser son pouvoir, et elle avait du mal à s’en remettre. Elle ne savait pas grand-chose de cette force, sinon que Drefan Tross était désormais perdu pour elle.

La foule s’approchant, un regard furieux du sorcier l’avait vite fait reculer.

— Tu voulais assassiner la reine, Drefan Tross ?

— Oui, maîtresse.

— Quand ?

— Ce soir, au moment du départ des invités. (Des larmes dans les yeux, Drefan semblait à la torture.) Je t’en prie, maîtresse, dis-moi ce que je peux faire pour te plaire.

Ainsi, avait compris Cyrilla, c’était cela qu’on avait infligé à son père, jadis. Le pouvoir lui prendrait-il tous ceux qu’elle chérissait ? D’abord Wyborn, puis un homme dont elle était éprise…

— Pour le moment, attends en silence, avait ordonné Kahlan. Reine Cyrilla, navrée d’avoir gâché les festivités, mais comme vous le voyez, tout retard aurait eu des conséquences dramatiques.

Furieuse, la reine s’était tournée vers Drefan, qui regardait toujours béatement Kahlan.

— Qui t’a ordonné de me tuer, Drefan ?

L’homme n’avait pas bronché.

— Il ne vous répondra pas, Majesté, avait dit Kahlan.

— Alors, demandez-lui vous-même !

— Voilà une démarche que je déconseille, avait soufflé le sorcier.

Cyrilla ne s’était jamais sentie aussi stupide. Tout le monde était au courant de son tendre penchant pour Drefan. On se moquerait d’elle jusqu’à la fin de son règne !

— Je n’ai rien à faire de vos conseils, sorcier !

Kahlan s’était approchée, baissant le ton.

— Cyrilla, nous pensons qu’un sort protège ce secret. Quand j’ai posé cette question à son complice, il est tombé raide mort avant de pouvoir ouvrir la bouche. Mais j’ai une solution… Il y a des façons détournées d’obtenir cette information, et ça neutralisera peut-être le sortilège. Si je peux l’interroger seule, dans un endroit tranquille, nous aurons sans doute la réponse.

— J’avais confiance en cet homme ! Il était proche de moi, et il ma trahie ! Moi, pas vous, Mère Inquisitrice ! Je veux savoir qui a armé son bras. L’entendre de ses propres lèvres. Vous êtes dans mon palais, alors, obéissez-moi !

— Comme vous voudrez… (Kahlan avait reculé d’un pas, son visage redevenu parfaitement inexpressif.) Drefan, ce que tu voulais faire à la reine, c’était de ta propre volonté ?

— Non, maîtresse, s’était empressé de répondre le traître, ravi de plaire à sa maîtresse. On me l’avait ordonné.

— Et qui te l’avait ordonné ?

Drefan ouvrit la bouche puis porta une main à sa gorge et s’écroula, mort sur le coup.

— La même chose que l’autre, avait lâché le sorcier. Comme je le pensais.

Kahlan s’était penchée pour ramasser le couteau et le tendre à Cyrilla, garde en avant.

— Nous pensons être face à une conspiration à grande échelle. J’ignore ce qu’en savait cet homme, mais j’ai une certitude : il travaillait pour Kelton.

— Kelton ? Je refuse de croire une chose pareille !

— Regardez le couteau… Il vient de ce royaume.

— Beaucoup de gens portent des lames fabriquées à Kelton, célèbre pour la qualité de ses armuriers. Ce n’est pas une preuve suffisante.

Kahlan n’avait pas bronché. Trop bouleversée, Cyrilla ne s’était pas demandé quelles émotions faisaient rage derrière son masque d’Inquisitrice.

— Mon père, avait-elle enfin dit, m’a appris que les Keltiens se battent uniquement pour deux raisons. D’abord quand ils sont jaloux, ensuite lorsqu’ils sont attirés par la faiblesse de leurs ennemis. Dans les deux cas, ils lancent une sonde en essayant de tuer un des hauts dirigeants du camp adverse. Grâce à vous, le royaume de Galea est plus fort que jamais, et ces somptueuses festivités en témoignent. Vous avez éveillé la jalousie des Keltiens, Majesté…

» Mon père disait aussi qu’il fallait toujours garder un œil sur ces gens et ne jamais leur tourner le dos. Et quand on repousse leur première attaque, ils attendent aussi longtemps que nécessaire le moment de faiblesse qui leur permettra de frapper une deuxième fois…

Furieuse d’avoir été dupée par Drefan, Cyrilla avait explosé sans peser ses mots.

— Je ne sais rien de ce que disait notre père ! Une Inquisitrice me la enlevé, me privant de son précieux enseignement.

Le masque de Kahlan s’était effacé, cédant la place à une bienveillante sagesse, presque déplacée sur un visage aussi jeune.

— Les esprits du bien, Majesté, ont peut-être voulu vous épargner d’apprendre ces choses. Remerciez-les de tout votre cœur. Ce savoir, je vous l’assure, ne vous aurait pas réjoui l’âme. Il a desséché la mienne, même si c’est grâce à lui, ce soir, que je vous ai sauvé la vie. Ne sombrez pas dans l’amertume, gente souveraine. Soyez en paix avec vous-même et appréciez à sa juste valeur ce don merveilleux : l’amour de votre peuple. C’est lui, votre authentique famille…

Kahlan s’était détournée, prête à partir, mais Cyrilla l’avait retenue par un bras et entraînée à l’écart tandis que des gardes emportaient le cadavre de Drefan Tross.

— Kahlan, pardonne-moi… J’ai dirigé ma colère contre toi, faute de pouvoir me défouler sur Drefan.

— Je comprends, Cyrilla… À ta place, j’aurais eu la même réaction. Les sentiments que t’inspirait cet homme se lisent dans tes yeux. Je ne m’attends pas à ce que tu me félicites… Pardonne-moi d’avoir troublé un jour de liesse, mais si j’avais trop attendu…

Avec sa compassion, Kahlan avait réussi un étrange miracle : c’était Cyrilla qui se sentait dans la peau de la petite sœur ! Regardant la splendide jeune femme debout devant elle, la reine s’était avisée qu’elle avait atteint l’âge de choisir un compagnon. C’était d’ailleurs peut-être déjà fait, pour ce qu’elle en savait. Sa mère devait avoir environ son âge quand elle avait « élu » Wyborn. Si jeune…

Cyrilla avait éprouvé une haine brûlante pour ce monstre de Drefan. Cette jeune femme, sa sœur, venait de lui sauver la vie, consciente qu’elle n’en retirerait aucune gratitude. Et qu’elle risquait, au contraire, d’être détestée à jamais par sa demi-sœur. Si jeune, et un tel fardeau sur les épaules…

— J’espère que tout ce que t’a enseigné Wyborn n’était pas aussi déprimant, avait-elle dit en souriant à Kahlan pour la première fois.

— Il m’a appris à tuer… qui abattre, quand le faire, et comment m’y prendre. Réjouis-toi de n’avoir jamais suivi ses cours, et de ne pas avoir besoin de ses connaissances. Moi, elles me sont précieuses, et je crains de n’avoir pas fini de les mettre en application.

Cyrilla avait plissé le front. Kahlan était une Inquisitrice, pas une tueuse…

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Nous pensons avoir découvert une conspiration, l’as-tu oublié ? Je n’en dirai pas plus avant d’avoir des preuves, mais la tempête qui se prépare risque d’être terrible.

Cyrilla avait effleuré la joue de sa sœur : la première fois de sa vie qu’elle se permettait un tel geste.

— Kahlan, pourquoi ne restes-tu pas un moment ? Profite à mes côtés de la fin du festival, aussi étrange soit-elle, j’adorerais ça.

— Impossible… Ma présence gâterait l’humeur de ton peuple. Merci de cette proposition, mais je ne voudrais pas saboter cette belle journée.

— C’est idiot ! Tu ne saboterais rien du tout !

— J’aimerais que tu aies raison, mais ça n’est pas le cas. N’oublie pas le conseil de notre père : toujours garder un œil sur les Keltiens. À présent, je dois partir. Des troubles se préparent, et la mission des Inquisitrices est de découvrir leur cause. Avant de retourner en Aydindril, je ferai un détour par Kelton, pour exposer mes soupçons et exiger que de tels événements ne se répètent pas. Ensuite, j’informerai le Conseil de ce qui s’est passé aujourd’hui. Ainsi, tout le monde gardera un œil sur Kelton.

Qu’enseignait-on, en Aydindril, pour transformer ainsi la porcelaine en acier ? s’était demandé Cyrilla.

— Merci, Mère Inquisitrice, avait-elle dit, ne trouvant pas d’autre moyen d’exprimer sa gratitude… et son admiration.

La seule conversation « intime » qu’elle ait jamais eue avec sa demi-sœur. Et l’unique occasion où elles s’étaient tutoyées…

Après le départ de Kahlan, le festival n’avait plus eu beaucoup d’attrait pour la reine.

Si jeune, et pourtant si vieille…

Quelques heures plus tôt, des années après ces événements, Cyrilla s’était étonnée que Kahlan ne préside pas le Conseil. Personne ne savait où elle était. Son absence, lors de la chute d’Aydindril, n’avait rien de surprenant : sa charge la contraignait à voyager beaucoup, et elle avait dû être occupée à parer de son mieux les menaces de D’Hara. Comme les autres Inquisitrices, qui l’avaient payé de leur vie, Kahlan avait certainement fait de son mieux pour repousser les hordes de Darken Rahl.

Mais qu’elle ne soit toujours pas revenue en Aydindril après la fin de la guerre, et le retrait des troupes d’occupation, devenait inquiétant. Peut-être était-elle en chemin… Ou avait-elle succombé sous les coups d’un quatuor ? Rahl avait condamné à mort toutes les Inquisitrices. Galea leur avait offert l’asile, mais ça n’avait servi à rien…

Pire encore, aucun sorcier n’avait assisté au Conseil. Sans la Mère Inquisitrice, et sans sorcier, les choses se présentaient moins bien que prévu…

Voyant qui présidait le Conseil, Cyrilla avait failli paniquer. Le haut prince Fyren de Kelton, soit l’homme qu’elle était venue dénoncer ! Le voir sur le siège jusque-là réservé à la Mère Inquisitrice avait noué l’estomac de la reine.

Le Conseil, tout bien pesé, n’était pas redevenu comme avant…

Ignorant le prince, Cyrilla s’était adressée aux autres membres de l’illustre institution. Mais Fyren s’était défendu, l’accusant de haute trahison envers les Contrées du Milieu. Ce chien avait eu l’audace de l’accabler des charges dont il était coupable !

Sans vergogne, Fyren avait affirmé que son royaume n’agressait personne, mais se défendait face à un voisin avide de conquête. Il avait ajouté à ces infamies une virulente tirade contre les pays dirigés par des femmes. Et le Conseil avait bu ses paroles, ne permettant même pas à Cyrilla de présenter ses preuves.

Assommée, elle avait entendu ces hommes la déclarer coupable et la condamner à être décapitée.

Où était Kahlan ? Et les sorciers ?

La vision de dame Bevinvier s’était réalisée. Cyrilla aurait dû l’écouter, ou au moins prendre quelques précautions. La prédiction de Kahlan aussi s’était avérée. Kelton avait d’abord frappé par jalousie, puis attendu, pour recommencer, que viennent les premiers signes de faiblesse…

Dans la cour d’honneur, l’escorte de la reine attendait de repartir avec elle pour Galea. Avant l’arrivée des renforts envoyés par le Conseil, Cyrilla avait eu l’intention de s’occuper en personne d’organiser les défenses de son royaume.

Rien ne s’était passé comme prévu…

La sentence à peine prononcée, elle avait entendu les échos d’une bataille, dehors. Une bataille ? Une boucherie, plutôt… En signe de respect envers le Conseil, ses soldats étaient entrés désarmés dans la cour d’honneur…

Campée devant une fenêtre, deux gardes la tenant, la reine avait dû assister au massacre. Quelques Galeiens avaient réussi à s’emparer des armes de leurs agresseurs. Mais à un contre cinq, ils n’avaient pas une chance… Certains s’étaient-ils échappés ? Elle voulait le croire, et espérait qu’Harold serait du nombre.

Après la boucherie, Fyren l’avait forcée à s’agenouiller devant le Conseil. Lui saisissant les cheveux, il les lui avait coupés à ras, comme à une vulgaire fille de cuisine. Pendant ce supplice, Cyrilla n’avait pas bronché, gardant sa dignité en l’honneur de son peuple et des hommes qui venaient de se faire étriper.

Mais le calvaire de Galea, avait-elle compris, commençait à peine…

Des mains brutales la forcèrent de nouveau à s’arrêter devant une petite porte en fer. Une échelle rudimentaire, deux fois haute comme la souveraine, reposait contre le mur, de l’autre côté du couloir.

Le soldat chargé des clés vint ouvrir en tempêtant contre la serrure, trop rarement utilisée et mal entretenue. Tous les hommes étaient des Keltiens. Cyrilla n’avait pas vu un seul membre de la Garde Nationale. Mais la plupart, elle le savait, avaient péri lors de l’attaque de D’Hara contre Aydindril.

Le soldat réussit enfin à ouvrir la porte, qui donnait sur des oubliettes obscures. Cyrilla sentit ses genoux se dérober, mais elle ne tomba pas, car ses geôliers la retinrent. On allait la jeter dans un trou puant infesté de rats !

Elle se ressaisit et cessa de tituber, comme il convenait pour une souveraine. Mais les battements de son cœur ne ralentirent pas.

— Comment osez-vous jeter une femme dans une fosse qui grouille de rats ?

Le prince Fyren approcha du trou et décrocha une torche de son support.

— Des rats ? C’est cela qui vous inquiète, ma dame ? De vulgaires rongeurs. (Ce chien était bien trop jeune pour afficher une telle insolence. Si on ne lui avait pas tenu les bras, Cyrilla l’aurait giflé.) Laissez-moi apaiser vos angoisses, douce reine.

Il jeta la torche dans l’oubliette… qui éclaira des visages de cauchemar. Un bras se tendit et attrapa ce présent inestimable : un peu de lumière.

Il y avait des hommes au fond de ce trou. Au moins six, et peut-être une dizaine.

Le prince se pencha dans le vide.

— La reine a peur qu’il y ait des rats avec vous…

— Des rats ? croassa une voix. Il n’y en a plus. Nous les avons tous mangés.

— Vous voyez, très chère ? minauda Fyren. Ce brave homme affirme qu’il n’y a plus de vilaines bestioles. Vous êtes rassurée ?

— Qui sont ces malheureux ? demanda Cyrilla.

— Des meurtriers et des violeurs qui attendent d’être décapités, comme vous. Des bêtes sauvages, à vrai dire… Avec toutes mes occupations, je n’ai pas encore pu les faire exécuter. Avoir croupi aussi longtemps dans ce trou infect a dû les énerver, j’en ai peur. Mais la compagnie d’une reine leur mettra sûrement du baume au cœur.

— J’exige d’avoir une cellule individuelle…

— Vous exigez ? (Sans crier gare, le prince la gifla.) Vous n’avez rien à exiger ! Vous êtes une criminelle qui a été jugée et condamnée. Un monstre qui a massacré mon peuple !

— Vous ne pouvez pas me livrer à ces brutes…, souffla Cyrilla, sachant que ça ne servirait à rien.

— Messires, dit Fyren, reprenant son rôle de salaud nonchalant, vous ne manqueriez pas de respect à une dame, n’est-ce pas ?

Des rires montèrent de l’oubliette.

— Pour sûr que non ! On ne voudrait pas être décapités deux fois ! Ne vous inquiétez pas, ma belle, on vous traitera aux petits oignons.

— Fyren, dit Cyrilla en sentant du sang couler au coin de sa bouche – la gifle du prince avait dû lui faire éclater une lèvre – je demande à être exécutée sur-le-champ.

— Encore des exigences ? Vous êtes lassante, très chère…

— Pourquoi me refuser ça ? Tuez-moi maintenant !

Fyren leva une main pour la gifler encore, mais il se ravisa et continua son petit jeu.

— Vous voyez ? Au début, vous prétendiez être innocente et refusiez de poser la tête sur le billot. Mais vous vous ravisez déjà. Après quelques jours avec ces gentilshommes, vous supplierez qu’on vous décapite. Et vous confesserez de bon cœur vos crimes devant la foule qui assistera à l’exécution. N’est-ce pas excellent ? De plus, j’ai du pain sur la planche et pas de temps à perdre. Alors, on vous coupera la tête quand ça m’arrangera, pas pour vous faire plaisir…

Lentement, Cyrilla prenait conscience de ce qui l’attendait au fond de ce cul-de-basse-fosse. Et la terreur la submergeait.

— Par pitié… ne me faites pas ça. Je vous en supplie.

Le prince Fyren lissa son jabot et prit une voix compatissante.

— J’ai essayé de vous rendre les choses plus faciles, Cyrilla, par respect pour votre féminité. Le couteau de Drefan aurait été plus miséricordieux. Et moins douloureux, je vous le concède. Je n’aurais jamais eu autant de pitié pour un homme, vous savez. Mais vous n’en avez pas profité. La Mère Inquisitrice est arrivée et vous avez laissé une autre femme se mêler d’affaires de mâles. Quel gâchis… Les femmes n’ont pas assez de tripes pour gouverner, très chère. On ne devrait jamais les autoriser à commander une armée ou à se piquer de politique. Drefan est mort en essayant de vous réserver un sort agréable. À présent, nous allons changer de méthode.

Le prince fit signe à un garde, qui alla chercher l’échelle et l’introduisit dans l’oubliette. Les hommes qui la tenaient poussèrent Cyrilla vers le trou tandis que ses compagnons dégainaient leurs épées, au cas où un des prisonniers aurait l’idée d’essayer de monter.

Cyrilla chercha en vain un moyen d’arrêter ce cauchemar. À court d’inspiration, elle se rabattit sur la première chose qui lui vint à l’esprit.

— Je suis une dame et une reine… Pas question que j’utilise une vieille échelle rouillée.

Fyren parut déconcerté par cette objection ridicule. Puis il fit signe au soldat de retirer l’échelle du trou.

— Comme il vous plaira, ma dame, dit-il avec une révérence moqueuse.

Il fit un signe aux hommes qui tenaient la reine. Dès qu’ils l’eurent lâchée, avant qu’elle ait pu esquisser un mouvement, le prince la frappa à la poitrine, juste entre les seins.

Le souffle coupé, elle perdit l’équilibre et bascula en arrière.

Dans l’oubliette.

Pendant sa chute, elle espéra se fracasser le crâne sur le sol de pierre. Une mort indigne d’une souveraine au passé si glorieux ? Une vie entière de responsabilité pour en arriver là, sa tête éclatée comme un œuf tombé d’une table ? C’était affreux, mais elle s’y résigna sans peine. Tout valait mieux que…

Hélas, des mains la rattrapèrent et se mirent aussitôt à grouiller sur son corps comme… des rats.

Là-haut, quelqu’un referma la porte, soufflant la lumière du couloir.

À la lueur de la torche, des visages se penchèrent sur Cyrilla. D’affreuses gueules d’hommes rompus à tous les vices. Des faciès de tueurs aux yeux noirs et aux bouches garnies de chicots jaunâtres. Des têtes de condamnés qui tiendraient encore assez longtemps sur leurs épaules pour qu’ils commettent une ultime atrocité.

Incapable de respirer, des images confuses et inutiles tourbillonnant dans son esprit, Cyrilla sentit qu’on la plaquait sur le sol. Le contact de la pierre froide contre son dos la fit frissonner.

Grognant comme des fauves, les hommes troussèrent sa robe et lui écartèrent les jambes.

Des mains aux ongles recourbés comme des serres arrachèrent le haut du vêtement, dévoilant ses seins.

Alors, Cyrilla fit une chose qu’elle s’interdisait depuis qu’elle était adulte.

Elle hurla.

La pierre des larmes - Tome 2
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